Liberté de tweeter : Michel Field fait marche arrière

Note sur les conditions d’expression sur les blogs personnels et réseaux sociaux

La direction de l’information de France Télévisions vient d’adresser à tous les salariés une note menaçant de « sanctions immédiates » tous ceux qui commettraient un « dérapage » sur les réseaux sociaux… mais selon quels critères ?

C’est une note au ton très catégorique que Michel Field, le directeur de l’information, et Alexandre Kara, le directeur des rédactions ont adressé le 22 mars à tous les collaborateurs de France Télévisions, et qui entend définir « les conditions d’expression  des salariés sur les blogs personnels et les réseaux sociaux ».

Cette note indique notamment :

« Dans cette période d’élections présidentielles et législatives, il ne sera toléré aucun dérapage, aucun manquement aux  principes édictés dans cette note, sous peine de sanctions immédiates », indique la missive.

Nous voilà prévenus. Et cela nous préoccupe.

« Sanctions immédiates », cela voudrait dire que le salarié auteur du « dérapage » incriminé n’aurait ni le loisir de s’expliquer, ni celui de pouvoir défendre son point de vue.

Cette mise en garde est d’autant plus inquiétante, qu’elle ne précise pas les critères permettant de distinguer entre le « dérapage » et le propos légitime.

Michel Field et Alexandre Kara évoquent des principes généraux (neutralité, éthique, déontologie…). Mais au bout du compte, on reste un peu sur sa faim.

En revanche, la note édicte – sous forme d’avertissement –  une règle implacable :

« Les propos tenus sur les réseaux sociaux engagent l’image de France Télévisions »

On voudrait dire aux journalistes et à tous les salariés : « n’en faites pas trop », « optez pour un profil bas » ou même « bouclez-là, sinon vous aurez des ennuis », qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

D’où la question qui fâche : des salariés à qui viendrait l’idée de réagir sur Twitter à des propos tenus à l’antenne s’exposent-ils à des « sanctions immédiates » au cas où ces tweets n’auraient pas l’heur de convenir à la direction de France Télévisions ?

Ce cas de figure n’est pas une simple hypothèse d’école. En effet, des salariés se sont récemment retrouvés en conseil de discipline pour avoir ainsi réagi à des émissions ou des propos tenus sur les antennes du groupe.

La situation ainsi créée est d’autant plus incompréhensible que France Télévisions incite elle-même les téléspectateurs à donner leur avis lors d’émissions polémiques telles « On N’est Pas Couché » durant lesquels un bandeau « Réagissez #ONPC » défile à l’antenne.

Lors de ces émissions, France Télévisions n’est d’ailleurs pas toujours exempte de reproches au regard du respect des principes de « neutralité et d’éthique » prônés par ladite note.

Faut-il rappeler les récents appels aux meurtres de Donald Trump, qualifié au passage de « gros blanc » ?

Faut-il rappeler d’autres dérapages encore plus récents sur France info : reprenant à nouveau cette thématique anti-blancs que certains considèrent qu’elle a désormais sa place sur les ondes du service public ?

Est-il permis aux salariés de manifester leur désaccord face à de tels dérapages ?

La note envoyée le 22 mars aux salariés n’est-elle pas en contradiction avec les assurances données par Michel Field lors de la dernière réunion de déontologie ?

Le directeur de l’information s’était alors déclaré pour le principe d’une large liberté d’expression des salariés de France Télévisions sur les réseaux sociaux.

Le revirement de Michel Field est par ailleurs en contradiction avec les dispositions légales qui garantissent la liberté d’expression des salariés en dehors de l’entreprise :

Code du travail L. 2281-3 « Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement ». Cour de cassation chambre soc. 27 mars 2013 « sauf abus le salariés jouit dans l’entreprise ET EN DEHORS DE CELLE-CI de sa liberté d’expression »… « sauf abus »  étant interprétable comme ce qui pourrait recouvrir des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs : l’abus ne doit pas concerner des propos ayant un caractère privé. Or sur twitter, y a-t-il cette dimension présumée « privée » ?

Face à ce qui constitue bien un risque d’arbitraire et de censure déguisée, le syndicat Force Ouvrière demande à Michel Field d’organiser une consultation afin de clarifier les critères garantissant le droit des salariés à s’exprimer sur les réseaux sociaux. 

Le Syndicat Force Ouvrière de France Télévisions demeurera d’une extrême vigilance et continuera à défendre la liberté d’expression et les règles qui fondent l’éthique du service public de l’audiovisuel.