Le contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions pour la période 2016-2020, élaboré conjointement par l’État et notre entreprise a été adopté. Il a tous les atours d’un projet intéressant, mais en le regardant d’un peu plus près, il ressemble à un mirage.
Ce contrat souhaite, il est vrai, renforcer le soutien à la création afin de préserver l’exception culturelle Française dans un univers concurrentiel mondialisé. Une aide à la création qui devrait bénéficier à l’ensemble de nos chaînes.
Ce projet stratégique renforce aussi le rôle de France Télévisions dans ses missions de service public. Des missions qui sont sacralisées : le lancement de Franceinfo:, le renforcement de la dimension régionale de France 3, l’affirmation de la place des Outre-mer, la prise en compte d’une évolution nécessaire vers la consommation numérique de notre offre.
Pour agrémenter le tout, l’État s’engage à mobiliser des ressources et dotations supplémentaires : 38 millions d’euros en 2017, 63 millions d’euros à l’horizon 2020.
Les actionnaires promettent également de modifier la réglementation concernant les recettes publicitaires en allégeant le système lié au parrainage, cela devrait se traduire par une augmentation de nos recettes de 10 millions d’euros soit un total de près de 50 millions d’euros supplémentaires pour France Télévisions en 2017.
Mais la contrepartie est terrible pour les salariés de France Télévisions : l’annonce de la suppression de 500 emplois à l’horizon 2020.
Pour Force Ouvrière, il s’agit d’un plan social qui ne dit pas son nom. La direction a assuré qu’ « il n’y aurait aucun licenciement sec », que « ce plan va s’effectuer avec le départ naturel des départs à la retraite ».
Pourtant nous doutons des intentions réelles de notre actionnaire présent et avenir.
En masse salariale, 500 emplois c’est 50 millions d’euros. Ce que l’on nous donne d’une main, on nous le reprend de l’autre.
Force Ouvrière n’est pas dupe des vraies intentions des pouvoirs publics.
Déjà plusieurs candidats à l’élection présidentielle se prononcent de manière plus ou moins franche sur la privatisation d’au moins une de nos chaînes de notre Groupe. Beaucoup parlent de France 2, mais France 3 est aussi largement évoqué avec des synergies imaginables avec les télévisions locales privées qui vivent déjà avec des dotations publiques des Grandes Régions et/ou des départements.
Certains vont même plus loin, en proposant, comme l’a fait le « think tank » Fondation pour l’Innovation Politique sous la plume d’un ancien conseiller de Premier Ministre « privatiser France 2 et supprimer France 3, France 4 et France Ô ».
De même, la procédure de désignation par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel du PDG de France Télévisions est également remise en cause par de nombreux candidats de Droite comme de Gauche.
Pour mémoire en 2008, l’ancien président de la République avait mis en place un procédé totalement discrétionnaire de désignation des patrons de France Télévisions sous le principe de « je paye, je choisis ». Toute la mandature de Rémy Pflimlin avait eu à pâtir de cette désignation, le PDG étant alors suspecté de collusion avec le pouvoir politique.
À FO nous refuserons toujours de choisir nos patrons. Nous ne sommes pas favorables à la cogestion. Chacun son rôle !
Nous croyons à la « Lutte de classes » – dont le concept moderne n’est pas le remplacement du prolétariat par la bourgeoisie – mais la libération par le travail en tant que forme d’organisation du rapport social. Comme le professeur de science sociale de Montréal, Maxime Ouellet, l’explique dans « Les Anneaux du Serpent», « nous voulons sortir de l’ontologie du travail et de la valeur qui pousse les individus à une guerre de tous contre tous et les soumet à la domination dépersonnalisée du calcul intéressé ».
Ainsi nous ne rentrons pas dans le petit jeu de la judiciarisation à outrance, sous des prétextes futiles ou revanchards, car précisément cela contraint notre organisation syndicale, et par là même les salariés, à ne pas s’émanciper d’une organisation de travail que le salariat lui impose.
Face à ces attaques sur notre entreprise et ses salariés, le Gouvernement actuel reste étrangement silencieux. Mais peut-être pensent-ils tous au fond la même chose : « Nous sommes trop nombreux, nous coutons trop chers, il va bien falloir nous dégraisser. » C’est sans doute la conclusion à laquelle ils voudraient contraindre les organisations syndicales à arriver ces prochains mois. Ils seront tous contre nous : tutelle, actionnaire, direction, gouvernement, pouvoir public, représentant de l’État.
Première étape de cette démonstration, vous verrez, la négociation d’une GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) que la direction devrait nous proposer très prochainement. Une GPEC c’est quoi ? C’est la gestion préventive des ressources humaines selon les contraintes de l’environnement et les choix stratégiques de l’entreprise. Mais c’est souvent pour une direction un outil pour éviter des restructurations dîtes « brutales ». Pour paraphraser l’ancien patron des finances de France Télévisions, Martin Ajdari, « une organisation syndicale ne devrait jamais accepter une restructuration ».
Et c’est vrai qu’à Force Ouvrière nous avons une priorité dans nos revendications : la défense de l’emploi. Nous l’avons prouvé lorsque nous avons œuvré à sauvegarder les 175 emplois de Franceinfo:. Si cette chaîne est debout c’est en grande partie grâce à notre contribution.
C’est pourquoi, sans présager de l’avenir, il ne faudra pas attendre de notre organisation syndicale qu’elle négocie une GPEC imposée. Nous considérons qu’un postulat de départ, avec l’annonce de 500 suppressions de postes, rend insincère les débats et les négociations à venir.
La direction si elle veut négocier correctement et honnêtement avec nous ne doit pas rester sur des postures ou des préjugés. Elle ne doit pas présager de l’avenir. Peut-être qu’à la conclusion des négociations ce ne sont pas 500 emplois qu’il faudra supprimer, mais 500 emplois qu’il faudra créer.
Pourtant la direction organise déjà le travail à des fins productivistes. Elle risque de mettre sous tension les personnels si elle persiste.
Nous allons discuter par exemple lors de ce Comité Central d’Entreprise du projet de changement d’outil de gestion des missions et des notes de frais. Les collaborateurs vont devoir eux-mêmes saisir leurs justificatifs de frais, voire la réservation de leurs voyages professionnels. Actuellement ce sont les personnels administratifs qui ont en charge cette activité. Au-delà de transférer une charge supplémentaire de travail sur des salariés, la direction va placer volontairement en sous-activité une partie des personnels dédiés à ces tâches administratives.
De même, le projet de régionalisation de France 3, sur le principe duquel nous ne sommes pas défavorable, – mais qui pourrait l’être ? -, cache un effet pervers. La recentralisation des fonctions supports paie et comptabilité notamment.
Notre expérience syndicale nous engage à nous méfier de ces recentralisations. En général, elles se poursuivent par une uniformisation des process, appelé dans le langage patronal « simplification ». Puis, lorsque tout est bien centralisé et uniformisé, il ne reste plus qu’à délocaliser ou externaliser, la mission n’étant plus considérée comme « cœur de métier de l’entreprise ». Une feuille de paie, les règlements des frais de missions, pourront un jour être réalisés par une société prestataire, c’est tout à fait possible.
Ces futurs sont absolument inenvisageables pour Force Ouvrière. Nous considérerons toujours que les personnels administratifs sont au cœur de nos métiers à France Télévisions.
De même, comment considérer que les engagements du COM sont sincères concernant la réelle volonté de régionaliser France 3 ou les 1ères Outre-mer ? Les éditions Locales de France 3 ferment les unes après les autres. Elles s’arrêtent durant les vacances sous prétexte que les journalistes « doivent prendre leurs vacances ». Pire sur certains territoires, elles ne sont pas reçues par les téléspectateurs.
Un des premiers éléments qu’observe une organisation syndicale ouvrière c’est l’intérêt que porte son patron, ou sa patronne, à défendre les marques, les établissements, les éditions… Cet intérêt se concrétise par l’investissement réalisé sur les outils de travail.
Force est de constater la mauvaise volonté de la direction de France Télévisions à investir dans une retransmission adéquate des éditions Locales de France 3, ni même d’investir dans une diffusion en Haute Définition (HD) des réseaux France 3 et Outremer 1ère, alors que les chaînes concurrentes locales émettent quasiment toutes en HD. Une concurrence très mal perçue par les salariés.
La direction estime que tout rentrera dans l’ordre à l’horizon 2019, lorsque toutes les télévisions diffuseront en 4k. Bref, les réseaux régionaux de télévision publique auront toujours du retard.
Ils ne sont pas une priorité, nous venons de le démontrer, et certainement pas une priorité politique.
Et pourtant nous parlons là d’un véritable enjeu de Démocratie. Partout où le service public recule, lorsqu’un poste ferme ou lorsque des téléspectateurs ne reçoivent plus leur chaîne public de proximité, c’est l’obscurantisme qui progresse. Cela se paie cash, et cela se paiera dans les urnes.
Enfin, la représentation nationale n’a toujours pas véritablement tranché sur l’identité des chaînes de France Télévisions. Cela reste bien diffus, et confus, à dessein sans doute, y compris dans le COM.
FO défend l’idée d’un France 2 chaîne nationale généraliste, d’un France 3 – et Outremer 1ère – prioritairement régional et de proximité, d’un France 4 qui défend les nouvelles écritures et les programmes jeunesses, d’un France 5 chaîne du savoir, d’un France Ô qui condamne les inégalités et qui prône la diversité culturelle française. Lors de la création du Groupe France Télévisions c’était d’ailleurs l’idée première : la définition claire de ces chaînes.
Apparemment ces simples définitions font encore débat au Parlement. Il faut que cela cesse sinon c’est tout l’édifice et la justification du service public qui risque d’être ébranlé. Chacun voulant tirer la couverture à soi à des fins d’intérêts politiques ou partisans.
C’est dans ce terreau de suspicions et de manipulations politiques que naissent les rumeurs et les attaques ad-nominem souvent infamantes au sein même de notre entreprise. Elles cassent le moral des salariés. Elles visent à briser notre société et à minimiser les bénéfices de l’action syndicale.
FO dénonce et condamne ces instigateurs et ces pourfendeurs qui annoncent par exemple que le Siège de France Télévisions va déménager, que Franceinfo: est un échec ou qui jettent sans vergogne à la vindicte populaire des camarades ou des collègues.
Ces prochains mois vont être très agités politiquement. Nous dénonçons tous les actes malveillants qui de l’intérieur sont portés vers l’extérieur simplement pour nuire à l’image du service public.
Nos ennemis, ceux qui veulent nous détruire sont partout. Ils nous regardent déjà avec leur verdugo pour le descabello.
Sans être fataliste, nous savons bien que ce COM, comme tous les autres, et comme c’est quasiment l’usage sera modifié par avenant. Nous espérons tout de même que le Gouvernement, pour une fois, prendra conscience que sa signature l’engage et engage les Gouvernements suivants pour la durée du contrat. Un contrat, c’est un contrat. Le respecter est un acte de responsabilité.
Les salariés de France Télévisions en ont assez d’être les otages des ambitions, des caprices et des velléités politiques qui nuisent au développement serein de notre entreprise.
Lu par Eric Vial, Délégué Syndical Central FO, au nom des élus FO du CCE.