Les journalistes sous surveillance

Liminaire FO au CSE Siège

La direction de la rédaction vient de nous soumettre une nouvelle version du « Guide du bon usage des réseaux sociaux » qui n’avait pas été réactualisé depuis près de 15 ans (alors que lesdits réseaux n’étaient encore que balbutiants…)

La direction nous a soumis sa copie avant publication et nous a même invité à lui faire part de nos observations avant le 3 avril prochain. Force Ouvrière a donc fait part de ses observations.

Avant de savoir si nos remarques ont été jugées suffisamment pertinentes pour être prises en compte et intégrées dans ce nouveau code de conduite, nous avons souhaité les faire entendre publiquement afin d’enrichir le débat contradictoire, sans polémique. 

Tout salarié doit bien entendu se garder de mettre en cause son employeur et de porter atteinte à son image par des propos critiques ou désobligeants.

Certains points soulèvent interrogations et inquiétudes car ils touchent directement à la question de la liberté de pensée et d’expression. 

L’employeur ne peut se substituer au législateur et apporter unilatéralement une limitation à ce droit garanti par la constitution. 

En premier lieu, la direction de la rédaction opère une distinction entre compte professionnel et compte privé pour – in fine – réfuter toute pertinence à cette distinction en estimant que « le salarié ne peut se prévaloir du caractère privé de (son) compte » et ce, quel que soit son « niveau de notoriété ». En clair, tout·e journaliste aussi modeste soit-il, de même que tout·e salarié·e de France Télévisions ne pourrait se prévaloir du caractère personnel de son compte Twitter, Facebook, Instagram… 

Ce principe n’est pas acceptable car il reviendrait à considérer que le salarié demeure lié par un rapport de sujétion avec son employeur lorsqu’il s’exprime en dehors de son activité professionnelle.
Qu’ils soient ou non journalistes, les salarié·e·s de France Télévisions ne sont soumis à aucun devoir de réserve particulier comme le sont certaines professions (magistrats, policiers….)

En vertu de quel principe pourraient-ils devoir rendre compte à leur employeur de propos tenus sur les réseaux sociaux, exception faite des limitations légales précitées. FO refuse l’amalgame entre compte privé et professionnel.

En suite, ce guide des « bons usages » édicte toute une série de limitations sur lesquelles nous exprimons les plus extrêmes réserves.

Le guide enjoint maintenant de « ne pas exprimer d’opinions politiques partisanes ». Mais comment alors distinguer une « opinion politique partisane » à proscrire d’une simple « opinion » qui serait légitime. Quels sont  les critères de distinction ? Est-ce à l’employeur de distinguer entre les bonnes et les mauvaises opinions ? Cette ingérence nous semble très éloignée des principes de la démocratie que nous partageons tous.

Pour résumer la philosophie de ce « guide des bonnes manières », vous proposez la formule suivante : « Sur les faits d’actualité ne dites pas sur les réseaux sociaux ce que vous ne diriez pas à l’antenne de France Télévisions ». Ce parallèle ne nous semble ni pertinent ni acceptable.

Considérer que la forme et le fond d’un propos sur un compte privé de réseau social obéissent aux mêmes règles que celles en vigueur sur l’antenne du service public est totalement abusif. En dehors de son entreprise un salarié doit lui rester loyal, mais n’a pas de compte à rendre à son employeur. 

Sur la forme, il est notoire que le style des réseaux sociaux – en particulier sur Twitter – est radicalement différent de celui des antennes de France Télévisions. Brièveté du message, raccourcis, allusions ironiques, humour, liberté de ton, spontanéité… Il est permis et courant de forcer le trait et l’actualité est commentée de façon souvent subjective.

A l’antenne, les journalistes donnent des informations objectives, validées par le travail de toute une équipe. 

Autant de raisons pour lesquelles ce parallèle entre compte personnel et antenne n’est à notre sens pas recevable.   

Aurait-on pu à une autre époque pas si éloignée, lorsque les réseaux sociaux n’existaient pas encore, enjoindre aux salariés de l’ORTF (ou de n’importe quel autre groupe de presse) les recommandations suivantes : « attention, quand vous vous exprimez au café, faites comme si votre patron était là ». « Attention, quand vous montez sur une estrade lors d’une fête de patronage, considérez que vos supérieurs vous écoutent. ».

Nous tenions à faire part publiquement de nos inquiétudes, d’autant que nous ne pouvons exclure que les règles édictées dans ce nouveau guide – une fois entérinées – soient susceptibles de servir de base à d’éventuelles procédures et sanctions disciplinaires à l’encontre de salariés du groupe.
Certains événements récents nous laissent penser que cette hypothèse n’est pas totalement absurde.   

Pour toutes ces raisons (et quelles que autres aussi) nous considérons qu’il est impératif de revoir le texte du « guide des bons usages des réseaux sociaux » sur l’ensemble des points que nous venons de soulever.