« La honte de la république » : les personnels de l’audiovisuel public n’ont pas à payer les pots cassés des dérives des différents Gouvernements français

Liminaire de Force Ouvrière au Comité Central d’Entreprise du 13 décembre 2017, devant la Présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci.

Le Président de la République, Mr Macron aurait donc insulté l’audiovisuel public en nous accusant d’être « la honte de la République ». Une déclaration qui aurait été faite devant 70 députés En Marche de la Commission Culture de l’Assemblée Nationale. L’Élysée a depuis démenti, en confirmant que la teneur du discours n’avait pas à être rendu public et ne concernait pas « les personnels » – c’est donc les gouvernances qui étaient visées ?-.  Le magazine l’Express qui a révélé l’affaire « maintient » l’entièreté des déclarations. Il semblerait que le débat fut enregistré…

Au-delà des déclarations à l’emporte-pièce de la Présidence de la République dans un cadre plus ou moins privé, Mr. Emmanuel Macron a dénoncé de manière virulente les pratiques de l’audiovisuel public. Ses arguments sont les mêmes que ses prédécesseurs : « Parce que c’est très cher, pour une absence de réforme complète depuis que l’entreprise unique existe ; pour une synergie quasi inexistante entre les différents piliers des entreprises publiques ; pour une production de contenus de qualité variable ». Il a également fustigé un système « complètement incestueux » qui profite à des entrepreneurs « abonnés à la commande publique ». Conséquence de ces travers et, à ses yeux, comble de l’ineptie : « On ne se pose plus la question de savoir les contenus que l’on veut produire » pour apporter la culture à ceux qui en sont les plus éloignés : les jeunes, et les plus démunis. Bref, le Président de la République veut faire « la Révolution du secteur ».

Honnêtement pour les personnels de France Télévisions ce n’est pas une surprise. Tous les présidents, tous les gouvernements, toutes les tutelles ont dénoncé les unes derrière les autres des pratiques et des dérives qu’elles avaient elles-mêmes mis en place. Les personnels, eux, subissent années après années les caprices des politiques variées et diverses. Est-ce qu’on leur a posé une fois la question à eux, non jamais ? Est-ce que les tutelles ont reçu dernièrement les organisations syndicales pour dialoguer sur les réformes du secteur, non jamais ? Est-ce qu’on prend en compte leurs difficultés de travail dans les missions de « service public », non jamais ?

Qui a décidé de la fusion des entreprises dans une holding alors que Force Ouvrière avait clamé haut et fort que c’était une mauvaise idée ? l’État. Qui a décidé de maintenir les décrets Tasca empêchant l’audiovisuel public de percevoir des recettes liées aux droits de ses productions ? l’État. Qui n’a jamais respecté les contrats d’objectifs et de moyens en expliquant que cette fois-ci « promis juré craché », c’était la « der des der » et qu’on ne les retoucheraient plus ? l’État. Qui a mis en place la loi, celle de 1986, sur les animateurs-producteurs provoquant un système « incestueux » ? l’État. Qui a mis en place les systèmes de nominations des Présidents de France Télévisions qui ont changé à chaque fois au gré des nouvelles majorités ? l’État. Qui a décidé de la création de chaînes supplémentaires dans le giron du service public ? l’État. Qui a décidé de casser l’ORTF pour aujourd’hui vouloir la reconstruire ? L’État. Les personnels, eux, ont dû subir.

Alors Mr. Macron a décidé de faire « la Révolution », FO pari qu’il y en aura une autre lors d’un prochain gouvernement, et puis une autre encore, et puis encore une, et cette histoire pourrait continuer comme cela encore très longtemps.

Pour s’en convaincre, il faut compter le nombre de Présidents et Présidentes qui ont dirigé la destinée de nos chaînes ; rien que pour France 2, 17 ! 17 PDG, contre 3 dans le même temps à TF1, avec à chaque fois, des ordres et des contre-ordres, des stratégies divergentes, des missions fluctuantes, des gouvernances sous pressions qui mettent elles-mêmes les personnels sous pressions, des plans d’économies qu’on ne compte plus, des plans de suppressions d’emplois, des chasses aux sorcières contre les fortes têtes. C’est ce que nous avons appelé à FO : la politique du shaker. Secouer bien fort la glace, elle en ressortira pilée.

Et pourtant, malgré toutes les tentatives de déstabilisation par les différents gouvernements de Droite, de Gauche ou de rien, les personnels sont encore debout assurant leur mission cardinale de service public, assurant la continuité du territoire, promouvant les valeurs de la République.

Ces tentatives incessantes des pouvoirs politiques n’ont qu’un seul but : nous faire taire, réduire la liberté et l’indépendance de la presse de l’audiovisuel public dans ce pays. Les messages peuvent se résumer à : « je paye, vous faites ce que je dis », drôle de démocratie, surtout lorsqu’on est assez prompt à faire la morale aux autres nations.

La rengaine des gouvernements est toujours la même : il faut faire des économies !  En fait il faut comprendre que c’est une surenchère d’économies. Il faut toujours faire plus, cela ne suffit jamais. Nous vous rappelons ici par exemple, les deux derniers plans de suppressions d’emplois sous l’ère de Carolis et Pflimlin qui ont couté plus de 650 emplois à l’entreprise ; la suppression de certaines éditions locales de France 3 sous prétexte d’organisation de travail ou de prises de congés ; la vente de nos actifs dans certaines chaînes du câble et du satellite ; la fermeture de nos agences, nous pensons à celle de Malakoff par exemple… Non il en faut toujours plus, et si cela ne suffit pas, on vous rabote votre contrat d’objectifs et de moyens de 50 millions d’€, on vous enlève 20 millions d’€ de publicité autour des programmes jeunesses, on vous prive de vos dividendes sur la publicité si vous en avez, on vous ôte des hausses de la redevance qui vous étaient dédiées, on ne vous compense pas malgré les promesses les baisses de vos recettes publicitaires… et au bout de tout cela : on vous insulte. Et là, nous ne parlons pas de « on dits » comme a pu l’écrire une organisation syndicale, mais de faits, de notre histoire commune.

Alors est-ce à dire qu’il ne faut pas se réformer ? Bien sûr que non. Et malgré ce qu’a pu dire Jean-Pierre Leleux, le rapporteur du budget de l’audiovisuel au Sénat au sujet des organisations syndicales de France Télévisions, nous ne sommes pas « archaïques ». Bien sûr qu’il faut se réformer ! Ce n’est quand même pas à nous qu’on va apprendre ce que c’est la réforme ! C’est d’ailleurs plutôt gonflé de la part d’un sénateur, mais il n’est pas le seul à vouloir nous demander de nous réformer, alors que la promesse du Président était de réformer justement le Sénat dont plus personne ne comprend ni l’intérêt, ni l’utilité, et qui coute très cher aux contribuables.

Nous n’allons pas revenir dans le détail aujourd’hui sur toutes les rumeurs et propositions qui sont faites par les pouvoirs publics ou par vous Mme la Présidente, pour donc réformer une nouvelle fois France Télévisions :  la privatisation de France 2, le rassemblement du réseau France 3 avec le réseau France Bleu, la Presse Quotidienne Régionale, les télés locales privées dans un GIE mi-public -mi privé aux contours assez flous, en passant par la suppression de France Ô, le numérisation de France 4, les redéfinitions du périmètre de France 5, tout y passe, le maintien du réseau Outremer 1ère, ou l’accélération de France Info…

Pour FO rien ne pourra réellement changer tant que cette direction n’aura pas, une fois pour toute compris, que cette entreprise basée sur les 5 continents ne se dirige pas que depuis Paris ou pour les parisiens. C’est sans doute un peu dur de le dire sèchement mais c’est la réalité du terrain. Nous voulons parler ici du désarroi le plus total, du sentiment d’abandon profond des personnels de France 3 et Outre-mer 1ère et de leur encadrement concernant leurs missions, leurs métiers, leur avenir. C’est la substantifique moelle de notre entreprise : 162 implantations à travers le monde. C’est la majorité de nos personnels qui font leur travail honnêtement, professionnellement et pas avec des salaires mirobolants. Il suffit de lire les bases salariales dans notre convention collective pour s’en convaincre. Mais ils sont loin, ils n’ont pas les réseaux parisiens pour s’exprimer et leurs problématiques y compris dans la presse nationale, et bien pardonnez-nous, mais tout le monde s’en contrefiche. Qu’on ferme des établissements, des éditions, qu’on arrête des émissions, qu’on ne paie pas des compétences complémentaires ou des parts-variables, ça ne fait pas une ligne ! Ces sujets ne sont peut-être pas intéressants pour cette direction ?

Les richesses au fil des ans se sont concentrées sur le Siège de France Télévisions.  La fusion des entreprises de télévision publique a pesé durement sur les réseaux, trop durement. Taux de précarité à France 3 : 8 %, dans les 1ère Outre-mer 10 %, au Siège de France Télévisions 20 %. Suppression de personnels dans les réseaux depuis 3 ans : environ 10 %. La gestion des prises de congés est devenue kafkaïenne dans les réseaux afin de maximiser les économies. Les conséquences sont dramatiques pour la qualité de vie au travail : les personnels administratifs, je devrais plutôt dire administratives, ne sont quasiment plus remplacées. Elles partent en congés sans que personne ne s’occupent de leurs dossiers. Lorsqu’elles reviennent, elles ont deux fois plus de travail : celui laissé pendant leurs congés qui n’a pas cessé de s’amonceler et celui qui leur incombe naturellement. Résultats, elles craquent les unes derrière les autres. Et nous pourrions multiplier pour d’autres catégories de personnels y compris pour l’encadrement ou la DRH qui ont perdu 13 % de leurs effectifs.

Dans le même temps Mme La Présidente, la France est apparemment en émoi pour 3 ETP à Paris… Bon nous ne jugeons pas mais nous avons du mal à comprendre les échelles de valeurs.  Comme nous avons du mal à comprendre pourquoi vous ne faites pas travailler les JRI du siège de France Télévisions plutôt que des sociétés extérieures privées. Comme nous avons du mal à comprendre pourquoi Complément d’Enquête, Envoyé Spécial ou Cash Investigation, des magazines de la rédaction de France 2, comme cela est dit dans vos communications ne sont pas produites intégralement en interne. Comme nous avons du mal à comprendre pourquoi les services comme Culture Box, qui font un travail formidable, ne sont pas mis en valeur ? Comme nous avons du mal à comprendre pourquoi il est possible d’embaucher à la rédaction de France 2 des assistants de production et pas à celle de France 3 ou celles des réseaux ? Comme nous avons du mal à comprendre pourquoi vous acceptez des uns, ce que vous refusez aux autres… sous prétexte qu’il connaisse du monde ou qu’il ait un réseau.

Dans ce marasme général s’ajoute la volonté de certains de l’intérieur de notre entreprise de détruire l’audiovisuel public. Nous notons tout de même que vous venez de gagner deux procès contre la CGC, dont un où vous étiez accusée de favoritisme et de recel de prise illégale d’intérêts en lien avec la Fondation des Femmes. Ces procédures ont nui à l’ambiance générale dans l’entreprise.

Mme la Présidente, le Président de la République a parlé d’une future révolution pour l’audiovisuel public. Nous en sommes certains, elle aura lieu. FO n’en a pas peur puisque nous sommes un syndicat révolutionnaire. Mais de votre côté, choisissez-bien votre camp. Car de l’avis des personnels, c’est le camp des nobles que vous avez pour l’instant choisi…