France 3 a donc fait sa révolution (au sens littéral bien évidemment)

Liminaire au CSE France 3 réseau – Février 2020


Il aura fallu 11 ans pour que l’ancienne chaîne préférée des Français fasse un tour sur elle-même : quelle perte de temps ! 11 ans pour qu’enfin l’actionnaire et nos dirigeants qui ont conduit et accompagné dans une centralisation jacobine à outrance la casse de nos antennes régionales, la casse des métiers, la casse de la culture d’entreprise de notre marque France 3, reviennent à la raison et fassent le constat que « France 3 est une chaîne à vocation régionale ».

Donc, voilà que la direction propose aujourd’hui aux salariés de France 3, une nouvelle réforme de régionalisation dont pour l’instant le phasage et la phase d’atterrissage du projet ne sont absolument pas connus.

Selon vous Mme la Présidente du CSE, dans une déclaration retranscrite par le JDD, « il s’agit à présent d’adopter un nouveau modèle dans lequel la part des programmes régionaux dépassera la part des programmes nationaux ».

Ce sera donc la 5ème réforme pour les salariés de France 3 en 11 ans…

Mais après-tout, comment ne pas être d’accord avec cette volonté de notre direction de vouloir « régionaliser France 3 », de faire le constat avec nous, que chaque fois que le service public de proximité recule, c’est l’obscurantisme qui avance.  Pourtant, en 11 ans nos dirigeants ont laissé une entreprise exsangue dans une ambiance au travail dégradée, et dans un intérêt de nos téléspectateurs en baisse.

Ce n’est pas faute pour les organisations syndicales et les représentants du personnel d’avoir alerté, informé, prévenu. Toutes les analyses de FO se sont d’ailleurs révélées exactes. Dès 2009, que n’a-t-on pas entendu à l’époque sur notre radicalisation ou notre girondisme que certains directeurs apparentaient même à du « nationalisme régional ».

Souvenez-vous.

Le 5 mars 2009 dans le cadre de la loi no 2009-258, France 3 a déjà réorganisé son réseau régional. Les 13 directions régionales de l’époque sont alors remplacées par 4 pôles de gouvernance : Nord-Est à Strasbourg, Nord-Ouest à Rennes, Sud-Ouest à Bordeaux et Sud-Est à Marseille ; à l’exception de la Corse qui conserve une direction territoriale. Les 24 rédactions régionales deviennent 24 antennes de proximité. La mission allouée à France 3 dans le Contrat d’Objectifs et de Moyens signé avec l’Etat est d’être « une chaîne nationale à vocation régionale ».

C’est aussi l’occasion d’un premier plan social. Un plan de départ volontaire à la retraite qui va concerner 350 personnes. France 3 sera la plus affectée par ces suppressions de postes.

Les organisations de travail sont alors bouleversées. L’objectif est de faire produire par les rédactions locales, en plus de l’information régionale, des magazines, des contenus, du divertissement. Fini les émissions régionales, place aux P-A-E : les prises d’antennes exceptionnelles qui vont au fil du temps devenir de plus en plus exceptionnelles tant leur nombre sera réduit.  Le but est également de créer 24 web TV régionales, elles ne verront jamais le jour. Toute la filière de la production régionale est mise à mal et peu à peu démantelée. Les fonctions supports, la RH, l’encadrement, les métiers administratifs sont mutualisés.

Cette profonde restructuration provoque de fortes tensions dans le travail : des conditions de travail qui se dégradent, la prévalence de burn-out ou de bour-out, une ambiance dégradée et mortifère dans de nombreuses antennes.

Au bout du compte, la réforme qui avait vocation à faire des économies est un échec. Les 4 régions étant dans l’impossibilité notoire de tenir leurs budgets contraints et les téléspectateurs délaissant nos programmes.

A partir de 2012, la direction de France Télévisions annonce l’unification des rédactions de France 2, France 3 national et France•tv info afin de « s’adapter à la nouvelle concurrence d’Internet, des chaînes info, de la télé connectée, des smartphones… ». C’est le début de la suppression des éditions locales de France 3. C’est l’époque où nos dirigeants nous disent par exemple, « on a plus besoin de faire de la météo régionale puisque les téléspectateurs peuvent trouver cette information sur leur smartphone ». C’est l’époque où nos dirigeants maquillent aux parlementaires les émissions nationales en « production régionale », sous prétexte qu’on y parle de régions.

C’est aussi l’occasion d’un deuxième plan social avec un Plan de Départ Volontaire (PDV) qui va concerner 361 personnes au niveau de l’entreprise. France 3 sera la plus affectée.

En 2016, pour se conformer au nouveau découpage administratif, issu de la réforme territoriale et à sa volonté affichée dans la presse et dans nos instances de « doubler le temps d’antenne des programmes régionaux », la direction de France Télévisions annonce une nouvelle réorganisation de son réseau régional. Les 4 pôles de gouvernance sont supprimés. Désormais la direction de France 3 est unique, elle se trouve à Paris. Son comité social et économique devient national. Elle conserve 24 antennes de proximité qui sont dirigées et organisées dans un grand flou. Parfois, c’est le rédacteur-en-chef qui prend la main, parfois c’est le délégué aux antennes, tout cela dépend de l’identité de chacun et de sa force de persuasion. Les salariés se plaignent du manque de cohérence, ne savent plus qui est leur chef. Des banques de programmes sont mises en place pour combler le manque de production. L’entreprise a de plus en plus recours aux auto-entrepreneurs ou aux prestations extérieures. Les suppressions des éditions locales se poursuivent. Résultat : le doublement des programmes régionaux n’aura jamais lieu.

En 2018, la direction annonce un vaste plan de restructuration dans le cadre d’une Rupture Conventionnelle Collective. 900 postes sont supprimées. C’est France 3 qui est à ce jour le plus affecté par ces départs non remplacés.

2020, nous y voilà : nouvelle réforme. La direction fait le constat étonnée, oh surprise, nous citons ici les propos de la PDG dans le Journal du Dimanche « que les antennes régionales de France 3 ne diffusent que quelques heures par jour de programmes spécifiques (surtout d’info), via des décrochages locaux. ».  Elle annonce sa volonté de vouloir « tripler l’offre régionale » -carrément- . Pour y arriver, elle compte remettre en place jusqu’à 13 antennes régionales calquées sur les nouvelles régions administratives qui reprennent peu ou prou les anciennes régions de France 3.

Et voilà en 11 ans nous avons fait un tour sur nous-mêmes. Nous revoilà au point de départ. Mais dans quelle condition, car que reste-t-il des 4700 salariés qui travaillaient à France 3 en 2009 ? Nous sommes selon le bilan social 2018 à 3040 salariés permanents et ce chiffre va encore baisser l’année prochaine. Soit 36 % de salariés en moins : une pandémie sociale.

Mais que reste-t-il de notre production régionale évaluée à 12 % en 2012 et qui aujourd’hui représente moins de 6 % de notre activité ? Mais surtout la contribution de nos programmes régionaux ne représente que 1,6 % de l’audience nationale, peanuts !

Mais que reste-t-il de nos potentiels créatifs ? Des studios vident qui sont fermés et ne fonctionnent plus. Nos cars régies régionaux qui sont désossés sur le parking de Vendargues pour servir de loges.

Mais que reste-t-il de nos éditions locales ? Des territoires que nous avons désertés manquant à nos obligations de service public.

Pour accompagner cette nouvelle réforme avec des moyens financiers et humains en moins, la direction de France 3 compte s’appuyer sur les compétences et le réseau de France Bleu, quitte à pratiquer la télévision en mode dégradé. Elle compte aussi faire appel à la production audiovisuelle privée pour compenser nos manques de ressources en termes de production interne. Enfin, elle veut accélérer l’automatisation des régies, transformer nos métiers, nous former, pour que nous puissions davantage toucher aux contenus.

Alors bien sûr, FO accompagnera ce désir d’avenir pour les régions et pour la défense de nos territoires. Mais nous ne laisserons pas faire les nouvelles gabegies qui pointent à nouveau leur nez à France 3. Si la direction de France 3 veut vraiment défendre l’entreprise, elle doit investir en interne sur ses moyens de productions et ses moyens d’information. Il n’est pas question pour nous d’envisager une hausse de la productivité sans compensation en termes de conditions de travail, d’activité pour l’entreprise, ou de salaires. Votre boulot à vous, comme patrons, c’est de remplir le carnet de commandes. Notre boulot à nous, c’est de vérifier qu’il soit bien rempli. Pour l’instant, vous nous parlez de régionalisation, mais absolument pas d’activité. Et pourtant cela devrait être le cœur de votre prérogative d’employeur.

A la fin du document que vous avez remis aux élus du CSE Réseau concernant le projet de réorganisation de France 3, vous concluez par ce bon mot : « c’est la fin donc le début ».

Mais pour nous travailleurs ce n’est jamais la fin. Pour nous c’est plutôt une histoire sans fin.

Maintenant, l’Etat nous annonce une nouvelle réforme de l’audiovisuel avec une holding qui va fusionner les sociétés de l’audiovisuel public, radio, télévisions, archives dans une même entreprise France Média. Un concept né… en 1964 qui s’appelait l’ORTF. Cela a duré 10 ans, et puis on s’est de nouveau réformé. Dans la loi du 27 juin 1964 il est indiqué : « l’ORTF a pour but de moderniser (…), de rendre plus autonome le service public de radio-télévision française (…) afin de satisfaire les besoins d’information, de culture, d’éducation et de distraction du public » ; l’ORTF a comme particularité de « gérer directement la redevance audiovisuelle et de la redistribuer entre ses entités ». C’est exactement ce que propose la réforme de l’audiovisuel public portée par les députés qui se disent du « nouveau Monde ». Décidément, on n’arrête pas de tourner en rond à France 3 ; à en donner le tournis ou la nausée…


 

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