Eric Vial, délégué central FO dresse le bilan de la Présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, lors de son dernier Comité Central.

Jeudi soir dernier s’est achevé le dernier Comité Central de France Télévisions de la PDG Delphine Ernotte Cunci. Le 24 juillet prochain le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel désignera pour 5 ans un nouveau Président pour le plus grand groupe de l’audiovisuel public. Eric Vial, délégué syndical central FO a dressé un bilan de cette mandature : plutôt bon sur la partie éditoriale, plutôt mauvais sur la partie sociale. 

Un discours sans concessions et franc qui pointe les réussites et les échecs. De nombreux collègues et membres de la direction ont réclamé la diffusion de cette intervention qui a été saluée. Delphine Ernotte est candidate à sa propre réélection à France Télévisions. 

 

« Madame la Présidente,

Je voulais intervenir aujourd’hui en tant que membre de ce Comité Central depuis 12 ans et délégué Central FO, après l’expression des organisations syndicales qui se fait davantage sur une expression politique.

Eric Vial
Eric Vial, Délégué Syndical Central FO de France Télévisions

J’espère ne pas faire trop vieux combattant, puisque j’ai vu passer des présidents sans pouvoir officiellement les saluer, j’ai souhaité de mon côté être moins formel, car c’est peut-être notre dernier CSEC aujourd’hui. La désignation du nouveau PDG intervient le 24 juillet prochain, même si je vous l’accorde, ce n’est peut-être un au revoir que de courte durée.

Je vous ai vu arriver lors de votre premier jour à France Télévisions. J’ai donc un brin de nostalgie. On vous avait mis durant cette période de tuilage dans une sorte de cagibi sans grande lumière du jour. Une pièce assez lugubre qui ne se trouvait même pas dans ce bâtiment, encombré de vieilles archives et de vieilles machines à café inutilisables : quel drôle de bizutage entres patrons.

J’étais avec Françoise Chazaud que je salue aussi. Nous n’avons jamais oublié ce que vous nous aviez dit lors de ce premier entretien alors que l’entreprise traversait un énième plan de suppression de poste

« faire des économies n’est pas un projet d’entreprise ».

Et c’est vrai que contrairement à d’autres PDG de France Télévisions votre mandat aura été marqué par la multiplicité des projets que vous avez initié et que vous aurez conduite avec succès : Franceinfo: bien sûr qui aura été le plus retentissant, Un Si Grand Soleil et ses grands studios à Vendargues, Salto, Okoo, Shalsh, Lumni, les différentes plateformes numériques, la transformation des chaînes, plus récemment durant le confinement la mise en application du concept de « la Nation apprenante ». Vous aurez laissé aussi votre emprunte sur le changement même de la marque France Télévisions qui s’est muée en France.tv…

Les délais de prescriptions n’étant pas encore achevés, rassurez-vous, je tairais les différentes anecdotes qui ont pu émailler la réalisation de ces projets. Espérons que les bâtons dans les roues et les péripéties d’hier nous ferons bien rire demain, car vos adversaires auront souvent dépassé les bornes. Entre les rumeurs, les coups bas, les mensonges à votre encontre, les procédures juridiques, les baisses de budget de notre actionnaire, les suppressions de chaînes, l’interdiction de la publicité, la gestion du dossier du fichage des salariés, ceux de harcèlements, les problèmes liés à la déontologie de l’information ou des programmes, rien ne vous aura été épargné ; jusqu’à votre légitimité de PDG remise en cause devant la justice.

Dans le couloir du 8è étage, Rémy Pflimlin, alsacien comme moi, m’avait dit lors de votre arrivée :

« elle pense que cela va être terrible, elle n’imagine pas que cela va être pire ».

Ce qui est certain, c’est que sans le dialogue social et sans la volonté de co-construire ces projets avec FO notamment, mais aussi avec des organisations syndicales ouvertes au dialogue, tout cela n’aurait pas été possible.

Il n’appartient évidemment pas aux organisations syndicales ou un élu du CSE de choisir son patron. De la même manière qu’il serait inimaginable qu’une direction générale choisisse ces délégués syndicaux centraux ou désigne dans les syndicats ses interlocuteurs privilégiés, quoi que… il vaut mieux mettre un bémol sur ma dernière phrase, et c’est un sujet dont je veux bien débattre avec

Mr Arnaud Lesaunier, le DRH de FTV, avec qui nous n’avons apparemment pas les mêmes conceptions de la liberté syndicale.

Pour autant, notre responsabilité en tant que contre-pouvoir est bien de poser un bilan à votre mandature. Nous suivrons par objectivité celui du CSA. En mai dernier, alors que les sages décidaient à la surprise générale et sans explication de reporter la désignation du PDG de France Télévisions, ceux-ci ont publié un rapport étayé de 201 pages pour en tirer une conclusion :

Mme Delphine Ernotte Cunci a un bon bilan.

Bien sûr, les projets (dont je viens de parler), le budget à l’équilibre aussi (ce qui n’était pas le cas les mandatures précédentes), l’audience en hausse, et puis l’image de France Télévisions et du service public qui s’est améliorée en sont les principales raisons. Mais c’est surtout votre capacité indéniable à être un vrai leader qui a impressionné. Les machos qui ont vu arriver une femme à ce poste en ont eu pour leurs bourses : oui, vous a bien tenu la barre constate le CSA ainsi que le président et la rapporteure de la commission culture et éducation de l’Assemblée Nationale. Et ceux qui étaient au cœur des batailles peuvent attester, que dans les moments difficiles vous avez été au front pour défendre l’entreprise et ses salariés. Vous n’avez pas « baissé la culotte » par exemple face aux demandes de baisses de 800 M€ de budget de ce gouvernement. Vous ne vous êtes pas mis aux ordres. C’est aussi ce que vous reprochent certains politiciens aujourd’hui. Mais si vous l’aviez accepté, c’était la clé sous la porte pour notre entreprise.

Nous verrons bientôt si le deal pour ne pas faire sombrer France Télévisions dans les méandres ne nous aura pas coûté deux chaînes, France Ô et France 4. Vous savez que sur ces dossiers, avec mes camarades, nous nous sommes montrés très actifs pour défendre tous les salariés de ces chaînes. Mais il nous parait toujours invraisemblable que les téléspectateurs se retrouvent le 9 août prochain avec deux écrans noirs sur le PAF. Dans tous les cas, en cas de survie, il faudra revoir les missions de ces chaînes. Concernant France Ô pour nous, elle appartient aux Outre-mer, c’est à eux de la diriger, c’est à eux d’imaginer son avenir. Si on veut la faire vivre, elle doit culturellement exister par ceux qui sont empreint de la culture ultramarine.

Nous pouvons donc honnêtement parler d’un satisfecit global notamment concernant la distinction de France 2 et France 3 qui s’est davantage affirmée, le renouvellement des après-midi sur France 2, le soutien à la création et ses succès de diffusion sur nos chaînes, l’excellente santé de France 5, le formidable rebond de France 4, la diffusion de films patrimoniaux, l’accroissement de programmes régionaux même si ceux-ci sont axés quasiment sur l’information…

Pour autant, tout n’a pas été parfait non plus : l’audience faible de Franceinfo:, le manque de créneaux régionaux, la qualité audiovisuelle des radios filmées, le manque de représentation de la diversité sur nos antennes nationales (même si la situation s’est améliorée), la baisse de diffusions de films, la perte des droits sportifs, et le vieillissement de notre auditorat à la télévision. Mais au fond rien d’insoluble sur la partie éditoriale.

C’est surtout sur la partie sociale que nous aurions des reproches à vous faire.

Une Rupture Conventionnelle Collective et son lot de 900 postes supprimés avec une usine à gaz appelé « la GPEC de Progrès » qui désorganise toutes les pratiques professionnelles sans contrôle des syndicats ; une réforme de la Fabrique qui a cassé et démotivé une grande partie des personnels ; des expérimentations à outrance qui visent à déréglementer les professions (et cela s’est encore accru durant le confinement) ; des compétences complémentaires inégales selon les ex-sociétés qui ne sont toujours pas négocié au niveau de l’entreprise ; des augmentations générales de salaire inexistantes pour récompenser le travail et les formidables efforts fournis par les collaborateurs durant ces années de « virage du numérique », pas une seule augmentation générale sous votre mandat ; une prime d’intéressement promise mais qui ne vient pas ; la déresponsabilisation des cadres de proximité qui se sentent dépossédés de leurs prérogatives en raison d’une organisation managériale ultra-jacobine ; le développement à la hussarde des open-space, sans véritable concertation avec les salariés concernés ; les réorganisations successives des services qui ont déclassé de facto de nombreux travailleurs ; le non respect des accords ; l’aggravation de la pauvreté pour les salariés non-permanent qui auront vu leurs droits se réduire au fil des années ; une gestion chaotique des intermittents du spectacle et du respect de leurs droits ; mais surtout un certain malaise ambiant, pouvant aller comme dans le service des sports, jusqu’à des pratiques qui peuvent être harceleuses.

Enfin, le sentiment que la direction a voulu mettre un couvercle sur des sujets qui courent dans l’entreprise et dont vous êtes pourtant informé. Le sentiment dans les procédures disciplinaires que ceux qui auraient dû être sanctionné ne l’ont pas été, malgré les alertes ; que d’autres l’ont été comme des lampistes.

Des hauts cadres ont-ils bénéficié de clémence alors que des salariés étaient virés, eux, sur le champ ? Cette direction a-t-elle protégé sa classe en faisant deux poids deux mesures, se demandent beaucoup de salariés ? Cette direction s’est-t-elle octroyé des augmentations de salaires au moment où on nous demandait de faire des efforts ? Cette direction a-t-elle étoffé ses équipes au moment où il était impossible pour nous d’embaucher dans les services alors que nous étions surchargés ? Si nous devons être très honnête aujourd’hui le sentiment d’iniquité entre « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas » est très présent dans l’entreprise. Il s’est même accru au fil des années.

A France Télévisions, depuis 5 ans nous connaissons la distanciation sociale

Quoiqu’il en soit, la continuité d’un bon bilan ne suffira pas à satisfaire les sages du CSA dans leur choix. Depuis l’annonce du retrait de la loi sur l’audiovisuel, nous savons que le prochain mandat du PDG durera 5 ans au lieu de 2 ans. La donne a totalement changé. Le poste prestigieux de Président de France Télévisions suscite désormais les ambitions de nombreuses grandes personnalités, c’est normal. Personne jusqu’alors n’a réussi à obtenir 2 mandats de suite parce que le pouvoir exécutif a toujours eu peur d’une empreinte de 10 ans sur son audiovisuel public.

Il faudra de toute façon proposer un autre projet pour ces 5 prochaines années, un projet de rupture, plus social. Ce sont les projets les plus séduisants, les plus motivants aussi pour les personnels.

De notre côté, nous espérons que la prochaine direction, qui peut-être sera la vôtre d’ailleurs, s’inscrira davantage dans le pluralisme du dialogue social, dans sa volonté de travailler de manière collaborative avec tous les représentants des salariés sans faire de distinctions, afin d’écouter davantage leurs revendications dans l’objectif d’améliorer la qualité de vie des salariés et leurs conditions de travail dans l’entreprise. Vous pourriez déjà accéder à une idée qui rassemble : ouvrir des négociations nationales à France Télévisions sur le télétravail alors que 86 % des Français la réclame. Tirer un bilan du confinement et du bouleversement des organisations de travail. Travailler déjà sur le monde d’après. Cela nous appartient à nous direction et syndicats.

Mais surtout, il nous manque encore un grand projet fédérateur qui concernerait l’ensemble des salariés.

Un projet qui nous permettrait de croire que nous sommes tous dans l’entreprise unique et que nous allons tous dans le même sens. Je suis persuadé que vous avez un tel projet dans votre besace pour l’échéance qui vient.

Madame la Présidente, je vous remercie de votre investissement et de votre fidélité pour France Télévisions. Ils sont indéniables. J’en profite aussi pour remercier votre équipe qui est composé de grands talents, avec qui vous l’aurez compris j’ai parfois parmi eux quelques contentieux, mais j’en suis certain ces malentendus seront vite levés, dans la confraternité.

Je vous souhaite bonne chance dans la procédure de désignation du PDG de France Télévisions. »

Discours de Eric Vial, délégué syndical central FO, lors du comité central du 2 juillet 2020 à Paris