Cultiver son intranquilité. Dénoncer les injustices. Ne jamais se lever en disant : c’est ainsi. Garder son énergie pour la révolte et la contestation. Savoir ne pas choisir entre ses émotions et la raison. Avoir de la compassion et de la solidarité. Porter de l’aide à ceux qui le demandent, sans jugement. Se demander comme Fernando Pessoa dans son livre sur l’intranquillité, si c’est notre « sensibilité qui était trop vive pour notre intelligence, ou notre intelligence pour notre sensibilité. Et constater qu’on est « toujours en retard sur l’une des deux » ou bien dire que « c’est la troisième qui était en retard sur les autres ». C’est cela le feu du syndicalisme de la Force Ouvrière. C’est pour cela que nous sommes là devant vous.
Pour tout dire, Madame la Présidente, nous ne dormons plus très bien en ce moment. Notre intranquillité est grandissante.
Hier, après que vous nous ayez envoyé vos orientations stratégiques, document qui devait rester confidentiel jusqu’à ce jour, mais dont toute la Presse s’est déjà emparé provoquant de vives inquiétudes dans le personnel et nous avons eu un coup de sang ! Nous avons réagi vivement en renvoyant votre texte à toute la direction générale avec ce simple mot : « comme c’est décevant, heureusement qu’il y a des organisations syndicales pour défendre l’entreprise ». Nous savons que parmi la direction, certains se sont émus de ce coup de colère, nous ne voulions pas choquer. Mais effectivement, quelle immense déception !
Les Ordonnances Macron et les différentes Loi Travail n’ont pas eu, loin s’en faut, des aspects positifs pour les travailleurs Français. Mais elles imposent désormais aux employeurs de présenter « des orientations stratégiques » devant les élus. Celles-ci doivent être débattues. L’objectif du législateur étant comme pour les salariés, de motiver nos patronnes ou patrons à se réformer aussi, à rénover les concepts d’entreprenariat, à être en capacité de faire adhérer les personnels à leurs projets.
Les organisations syndicales ne sont pas là pour cogérer l’entreprise. Cela n’est pas de notre responsabilité. Leur rôle est d’exprimer leur intranquillité et aux dirigeants d’y répondre, dans cette instance qui est devenue éminemment liée à la politique de l’entreprise.
Nous ne sommes pas tranquilles car les dirigeants de France Télévisions ne semblent pas avoir pris la mesure de la révolution digitale qui s’impose aux médias. Arc-bouté sur des vielles recettes de l’audiovisuel, ils sont incapables d’imaginer une télévision moderne qui collera aux aspirations des nouveaux publics. Ils font de leur consultation citoyenne la panacée de leurs réflexions, c’est un peu comme si on décidait de mettre en place le référendum d’initiative populaire de la télévision à toute les sauces. Il en résulte des inepties et des positionnements qui vont fragiliser notre entreprise.
Non, contrairement à ce que vous avez affirmé Madame la Présidente, « l’information n’est pas la colonne vertébrale du service public ». Pourquoi ? Parce que l’information est globale. Elle ne nous appartient pas. Ce qui fait l’identité d’une chaîne ce sont ses programmes. C’est tellement vrai que vous êtes capable de proposer de mutualiser l’édition du Soir 3 sur France Info sans que cela ne vous pose de problèmes particuliers.
Ce que nous vous demandons à Force Ouvrière, c’est de ne pas être dans le présent, à répondre à l’instant aux demandes qui peuvent être formulées. Si vous demandez aux Français comment doit-être France Télévisions, nous n’y arriverons pas ! Car comme pour l’équipe de France de football, il y aura autant de sélectionneurs qu’il y aura de téléspectateurs. Ce que nous demandons à notre direction, c’est d’être en capacité à se projeter. À être inventive. À proposer un projet d’avenir motivant pour nous faire adhérer à votre stratégie. Ce n’est pas le cas.
Le texte sur vos orientations stratégiques souffre évidemment de carences et de poncifs. Passons sur les éléments de communications externes qui veut rappeler que nous sommes les premiers partout, les meilleurs sur tout, et que tout va bien dans notre entreprise. Il a surtout des manquements très graves concernant l’avenir des collaborateurs, les conséquences de la Rupture Conventionnelle Collective sur les organisations de travail, l’avenir de France Ô, de France 4 ou des CDD de longue durée ainsi que sur les missions de nos chaînes pour ces prochaines années.
Le texte ne répond pas à cette question fondamentale pour notre avenir à tous : c’est quoi la singularité de l’audiovisuel public aujourd’hui ? Qu’est-ce qui fait notre différence avec le Privé ? Selon vous, ce serait la qualité de notre information. Mais nos concurrents ne font-ils pas aussi une information de référence ? Ces manquements risquent de nous coûter très cher au final. Vous le savez, des parlementaires, voire même des ministres, n’hésitent plus à évoquer la privatisation de France 2.
Vous pourriez considérer que nous sommes perpétuellement dans la critique, mais des propositions Force Ouvrière vous en a fait et refait, nous les renouvelons aujourd’hui : la préservation d’éditions d’information dédiées pour chaque chaîne de notre groupe. Nous considérons que le traitement éditorial de l’information est différent d’une chaîne à l’autre ; nous lutterons donc contre une uniformisation de l’information et du point de vue. Des chaines régionales de métropole et d’Outremer de plein exercice avec des budgets leurs permettant de réaliser leurs projets médias. – d’ailleurs sur ce point l’interpellation du directeur de Polynésie la 1ère dans Le Monde est poignante et pleine d’enseignement sur la manière dont depuis Paris vous avez une vision déconnecté et fausse de nos territoires.
Nous savons les contraintes qui vous sont imposées par notre actionnaire. Nous savons ce que cela impacte sur nos organisations de travail, sur le principe d’un non-remplacement pour deux départs imposé par l’État. Nous savons que notre actionnaire demande de développer des synergies entre les entreprises de l’audiovisuel public… Mais la direction n’est pas obligée de tout accepter, en tant que responsable de ses équipes. Elle est aussi là pour protéger ses subordonnées et défendre l’entreprise, pas pour « baisser la tête » et appliquer tout ce qui lui est demandé sans broncher. Elle n’est pas obligée de considérer que l’État comme un actionnaire est une tutelle de répondre de facto à des ordres ou à des injonctions.
Car que se passe-t-il aujourd’hui ? Les salariés de France télévisions ne sont-ils pas abandonnés ? La direction n’est-elle pas totalement déconnectée du malaise ambiant ? ¼ du réseau FTV est soumis (ou va être soumis) à un plan de prévention des risques psychosociaux, l’absentéisme se repend comme une maladie contagieuse.
Mais pire que tout, malgré nos accords, une politique d’externalisation de nos programmes et d’une partie de l’information est poursuivie. Votre objectif, en tout cas celui que nous décelons est de faire de France Télévisions, un simple diffuseur. La Fabrique ne deviendrait qu’un simple « partenaire », France TV Studio qui ne dispose pas de notre convention collective serait érigé en « premier producteur français ». Nous vous le disons très fermement. Ici nous sommes au CSEC de France Télévisions. Ce n’est pas celui du Groupe : nous ne laisserons pas faire. Nous ne laisserons pas démanteler notre entreprise. Car, pour Force Ouvrière syndicat ouvrier, qu’est-ce que la « machine de travail » dans une entreprise de l’audiovisuel ? Ce sont ses programmes et ses éditions d’information ! C’est sur eux que doivent reposer toute notre attention, car c’est sur eux que repose notre production et donc l’emploi.
Externaliser nos programmes, en « vendant » notre identité à d’autres, c’est faire exactement ce que font certains patrons dans les usines qui démontent les machines pendant la nuit pour aller les délocaliser ailleurs, là où c’est moins cher, là où les ouvriers sont mis au pas. Cette attitude qui nous choque (et que nous dénonçons à juste titre dans nos reportages lorsqu’elle concerne des entreprises extérieures) devrait aussi nous choquer lorsque cela nous concerne. Votre responsabilité c’est de faire marcher le carnet de commandes. Vous serez d’abord jugez là-dessus.
Même sur l’externalisation des météos en région ou de nos bandes annonces, et malgré les efforts structurels pour gagner en productivité consentis par les personnels, vous ne vous engagez en rien. Vous réclamez toujours davantage d’efforts, mais vous ne donnez rien en contrepartie. Vous maintenez la suppression de 1000 suppressions de poste, sans jamais revoir ce chiffre à la baisse, malgré la démarche entreprise par FO notamment de négociation de nouveaux métiers plus polyvalents.
Au lieu de cela vous vous réduisez à une gestion de new public management, théorie économique éculée depuis les années 70, bien loin des concepts contemporains d’entreprises libérées ou de révolution digitale.
Mais surtout, pourquoi aujourd’hui nous avions revendiqué avec nos collègues de la CGT que vous nous présentiez avec vos équipes, un plan d’orientations stratégiques de France Télévisions ? Ne sommes-nous pas dans un contexte particulier ?
Nous négocions actuellement une rupture conventionnelle collective : 2000 suppressions de postes pour 1000 embauches. Une RCC que vous n’évoquez jamais dans votre texte. Pourtant ce qui nous intéresse, ce que nous vous demandions lors des réunions est déterminant pour la stratégie de notre entreprise. Dans quels secteurs d’activité allons-nous embaucher ? Quels seront les services impactés par les suppressions de postes ? Comment les salariés qui restent dans l’entreprise vont-ils pouvoir absorber la charge supplémentaire de travail qui va leur être affecté ? Dans le projet de RCC vous n’en parlez pas, dans votre projet stratégique non plus. Bref, quand est-ce que vous allez aborder franchement les problèmes avec les salariés ?
À tous les coups c’est la direction qui veut gagner : sur l’activité, sur les économies à réaliser, sur la polyvalence, sur la productivité… Mais quel intérêt pour le personnel de vous suivre ? Aucun. Et il faudrait que les élus et les organisations syndicales ne disent rien ?
Et bien non, pour nous la coupe est pleine. Nous allons cultiver notre « intranquillité ». Dès ce débat la direction doit proposer des améliorations substantielles des conditions sociales des travailleurs de France Télévisions elle doit les intégrer dans ses orientations stratégiques ou son projet de « recomposition des effectifs ». Nous devons être des interlocuteurs sociaux respectueux, c’est donnant-donnant, sinon nos salamalecs et simagrées s’arrêtent, là maintenant.
1-PS : pour ne pas être trop long dans notre liminaire, et pour laisser place au débat, nous vous informons que nous envoyons dès maintenant une communication à l’ensemble des salariés de France Télévisions pointant les aspects les plus contestables de vos orientations stratégiques. Le texte s’achève ainsi : « Nous rejetons ces orientations qui ne visent qu’à faire des économies, surtout sur le dos des salariés. Que la direction montre d’abord l’exemple et arrête d’embaucher des chargés de mission à tout va, arrête ses dépenses inappropriées pour des séjours à Tahiti, arrête de de faire appel à des experts extérieurs pour mieux virer les collègues. « On ne bâtit pas un projet d’entreprise en faisant des économies », déclaration de Delphine Ernotte Cunci lors de son arrivée à France Télévisions.
2-PS : Nous voulons excuser l’absence, tout à l’heure, de certains de nos camarades. FO France Télévisions a décidé de participer à la manifestation contre l’antisémitisme qui se déroule à 18 h, place de la république, à Paris. Notre syndicat Républicain ne peut pas laisser passer les actes antisémites qui se déroulent dans notre pays. Là aussi cela participe à notre intranquillité.