Changer, oui, mais pas n’importe comment ?

Liminaire de Force Ouvrière au Comité Central d’Entreprise du 14 décembre 2016, devant la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci.

En préalable, les élus Force Ouvrière ont une pensée pour Rémy Pflimlin, Président de France Télévisions de 2010 à 2015, mais aussi ancien directeur général de France 3. Nous avons perdu un grand patron. Son écoute, sa patience, son intelligence, son sens du devoir et du service public ont toujours impressionné. Nous garderons tous un agréable souvenir de ce grand Monsieur. Nous adressons à sa famille nos sincères condoléances.

 

France 3, justement, qui était cher à son cœur, est à l’honneur à l’occasion de l’ultime étape de l’info consultation sur la refonte de son réseau. Force Ouvrière retiendra tout d’abord la façon dont la démarche s’est déroulée. La loi Rebsamen aurait pu permettre à la direction d’imposer une restitution de l’avis des élus dans un délai très court, au bout de 4 mois, c’est-à-dire dès septembre dernier. Sur ce dossier, ce n’est pas l’option qui a été choisie : nous avons eu le temps de travailler, et avons pu disposer d’une certaine quantité de documents et d’informations.

La direction de France Télévisions a su faire preuve de transparence, mais, pour autant, la réforme est-t-elle suffisamment claire ? Pas forcément…

D’une part, le sujet fait encore débat aujourd’hui sur la question de l’autonomie financière et stratégique réelle des régions. Au-delà de cette question, il en est une autre plus préoccupante : cette réorganisation de France 3 doit-elle absolument se calquer sur une réforme territoriale anti-démocratique condamnée par le Conseil de L’Europe ? Une réforme territoriale qui, pour une partie des territoires directement concernés par France 3, nie les identités culturelles, l’Histoire et les langues des peuples qui composent notre Nation…  Sur un principe purement administratif cela peut se comprendre, mais dans les faits, choisir ce découpage, dont personne n’a oublié qu’il s’est fait à la va-vite sur un coin de table, pose problème sur plusieurs points.

D’abord il projette la coexistence entre de minuscules directions régionales mono antennes dans le Nord-Ouest, avec des « mastodontes » tels la Nouvelle Aquitaine, le Grand Est ou Rhône Alpes Auvergne…

Comment, par exemple, le futur Délégué aux Antennes et aux Programmes du Grand Est pourra-t-il être aussi impliqué pour chacune des 3 offres de son territoire que celui de la Direction des Pays de Loire, ou de la région Centre ?  Ces derniers seront entièrement dédiés à leur territoire, alors que l’organisation sera beaucoup plus complexe dans les très grandes régions.

Autre réflexion, le contexte de la réforme a changé depuis 3 semaines : en effet, le candidat victorieux lors de la dernière primaire de la droite et du centre, Mr François Fillon, a clairement manifesté sa désapprobation sur le sujet des régions trop grandes. Il a annoncé qu’il reverrait ce découpage, s’il était élu. D’autres candidats, y compris à Gauche, proposent de revoir, eux-aussi, le découpage des grandes régions.

Ne serait-il donc pas préférable d’attendre l’échéance de la présidentielle ? Ou alors, de ne pas tenir compte intégralement de ce découpage administratif plus que discutable (et d’établir des directions à taille plus homogène) ? Voilà qui permettrait une meilleure gestion de la proximité : au sein des BRI, mais aussi des éditions locales excentrées.

Nous le savons tous, ces rendez-vous d’hyper proximité, que constituent les locales excentrées, suscitent un fort attachement de la part des publics des zones concernées…quand ils parviennent à recevoir ces éditions.

Ceci, nous en avons eu confirmation tout récemment, avec les propos de plusieurs députés la semaine dernière. Tous élus de territoires dans lesquels il existe des éditions locales, ils ont su trouver les mots pour exprimer cet attachement. « Plus les territoires sont vastes, plus les populations ont le sentiment d’être abandonnées » disait par exemple l’un d’eux.

Sans ambiguïté, tous évoquaient clairement l’importance des éditions, et pas seulement la présence d’équipes sur place.

La difficulté, nous le savons, est évidemment la capacité pour ces publics de pouvoir recevoir ces rendez-vous : notamment lorsqu’ils sont équipés de box. Techniquement, les solutions sont simples, mais elles coûtent quelques millions, pour l’ensemble des locales.

Et là, nous touchons un autre problème : celui de la compatibilité entre le maintien d’un produit apprécié et la contrainte budgétaire.

Il est logique que nos budgets soient à l’équilibre, mais, au-delà de cette évidence, se pose aussi la question du juste financement du service public audiovisuel… Nous nous en souvenons, l’État s’était engagé à proposer une progression de la redevance de 2 euros…

Ça, c’était avant que les parlementaires (sous l’impulsion de Valérie Rabault) ne limitent finalement l’évolution à 1 euro…soit disant pour ne pas augmenter la pression fiscale !!!

Vous l’avez dit vous-même, Madame la Présidente, il faut des moyens pour le service public. Vous avez émis ensuite une solution qui n’entraînerait aucune augmentation de la pression fiscale : l’autorisation d’écrans publicitaires entre 20 et 21 heures… En rappelant que la publicité sur France TV est « raisonnée », en quantité limitée, et qu’elle ne coupe pas les œuvres ! Cette recette s’élèverait à 100 millions d’euros, et correspondrait alors à l’équivalent de 4 euros de redevance par foyer fiscal. Une autre solution existe : l’élargissement de l’assiette de taxation. Celle-ci serait cohérente, car elle prendrait en compte l’évolution actuelle des modes de consommation de la télévision, mais elle semble très compliquée à mettre en œuvre.

Ces deux pistes permettraient en tous cas une juste revalorisation de nos dotations budgétaires…mais malheureusement, aucune des deux n’est envisagée à ce jour. L’entreprise se retrouvera donc avec des ressources plus serrées que prévues ! Peut-être qu’il faudrait que ces parlementaires qui soutiennent les éditions locales puissent aller un peu plus loin…en réclamant les moyens financiers nécessaires pour améliorer les conditions de diffusion.

En l’état, nous n’aurons droit qu’à un complément sur la Taxe Copé, qui fragilise davantage l’entreprise. Clairement, des économies plus drastiques seront nécessaires…alors que les efforts engagés par France Télévisions ont déjà été nombreux depuis plusieurs années, comme plusieurs députés l’ont d’ailleurs fort bien reconnu la semaine dernière ! Sachant qu’il faudra en plus compter sans la publicité lors des émissions « jeunesse » ! Combien cette décision va-t-elle coûter ? Et pourquoi seulement sur France Télévisions (alors que les enfants regardent aussi les programmes des chaînes du privé) ?

Revenons sur le projet lui-même de refonte du réseau ! Nous regrettons une autre conséquence de la loi Rebsamen : les nouvelles Instances Représentatives du Personnel vont se retrouver amoindries.

Dans un cadre légal qui n’est plus en faveur des salariés, Force Ouvrière souhaite que des garanties soient trouvées pour que chaque antenne puisse continuer à exister au niveau de l’instance « CE ». Car, dans ces IRP, personne ne connaît mieux le contexte d’une antenne qu’un élu issu de cette antenne.

La meilleure solution pour réussir à finaliser ces garanties aurait été qu’un accord puisse être passé. Au lieu de cela, c’est très probablement l’administration du Travail qui décidera à notre place. Nous le déplorons, car ce sera la « loterie » : nous ne serons alors plus maîtres de notre destin…et la copie sera peut-être moins favorable que celle issue des négociations ! C’est donc évidemment une source d’inquiétude.

Une autre inquiétude porte par ailleurs sur l’avenir des métiers administratifs.

Alors que la machine est lancée pour qu’en 2018, un nouveau logiciel permette à chaque salarié d’effectuer lui-même la saisie de ses frais de missions, beaucoup de questions sont posées. Déjà, par rapport à l’avenir des métiers des administratifs…

FO rappelle que, à ce jour, celles-ci sont traitées avec un grand professionnalisme…et, d’autre part, l’activité de ces frais de missions génère de l’emploi. Il est donc indispensable que ces deux aspects soient préservés.

Premier aspect : le quotidien de l’ensemble des salariés sera bel et bien impacté, puisque tous seront amenés à saisir leurs frais. La tâche sera-t-elle aussi simple qu’annoncé ? Combien de temps faudra-t-il exactement pour effectuer ces tâches ? Et surtout, quelle sera la fiabilité de ce nouveau workflow ?

Nous le savons, bien souvent, ces systèmes posent des problèmes dans les entreprises qui ont adopté des solutions de ce type.

Au sein de France Télévisions, nous connaissons des histoires presque comparables avec d’autres systèmes d’information : il va donc s’agir de ne pas recommencer l’expérience vécue avec la mise en place de Mon Kiosque, par exemple (pour la saisie du temps de travail et des congés). Son utilisation est régulièrement décriée, et les solutions pour y remédier peinent à être trouvées.

Aujourd’hui, nous n’avons pas de problème d’ordre pratique avec nos frais de mission : Force Ouvrière refuse donc qu’une initiative de ce type ne se traduise par l’instauration d’un « mode dégradé ».

Et le second aspect, c’est une évidence, c’est l’emploi : personne ne doit se retrouver « sur le carreau » suite à la mise en œuvre de cette décision. Nous savons à ce sujet qu’une démarche de GPEC est en cours d’installation, et que les salariés administratifs seraient prioritaires. Voilà qui pourrait donc mieux répondre aux nombreux souhaits de reconversion…car ceux-ci se traduisent bien trop souvent aujourd’hui par un véritable « parcours du combattant » ! Si la volonté de l’entreprise est d’encourager ces évolutions, alors, il va falloir que ce soit dit plus clairement ! Et ça doit ensuite être réellement suivi d’effet. Aujourd’hui, un nombre trop important de salariés se trouve en situation de quasi résignation (et ce malgré une motivation sans faille).

Cette question des conséquences du projet « Missions » sur l’emploi sera donc cruciale pour nous.

Liminaire lu par Bruno Demange, Délégué syndical FO, au nom des élus FO du CCE.